Visite au jazz


« Je suis un visiteur du jazz, un ami en pays de connaissance qui a pris un immense plaisir à arranger pour la guitare et à les enregistrer dix grands standards américains. Bien au-delà d’un genre musical défini – si large soit-il au regard de sa propre histoire – le jazz n’évoque-t-il pas d’abord une certaine approche, presque une philosophie de la musique ? On pourrait même parler de « jazz-attitude » pour exprimer cette flexibilité et cette liberté de ton qui le caractérisent si bien.
Ces grands classiques, avant de faire leur entrée officielle au Real Book, étaient pour la plupart de simples chansons extraites de comédies ou films musicaux des années 40 et 50, souvent précédées de longues introductions au style étonnamment classique. Éludées dans la plupart des versions, ces « verses » qui viennent joliment ouvrir certains de ces thèmes de légende (I love Paris ou Over the Rainbow pour ne citer que ces deux titres) n’en demeurent pas moins solidement accrochées à la genèse de ces grands standards, et en restituer la trace m’a semblé aussi naturel qu’opportun, presque un devoir musicologique.
Qui que vous soyez, fou de guitare ou passionné de jazz, je suis heureux de vous convier dans cet univers magique. »
Roland Dyens
Ce n’est pas une différence, mais un abîme de paradigme qui existe entre la guitare classique et la guitare jazz. Bien que toutes les musiques partagent un vocabulaire commun, la langue vernaculaire du jazz avec ses termes étranges de syncopé et de notes bleues pourrait sembler un dialecte exotique pour un musicien classique, comme la voix trainante du sud pour un locuteur à l’accent irlandais.
La communication authentique avec un instrument, que ce soit par le classique ou par le jazz, tout comme un accent ou une voix trainante, ne souffre pas d’imitation… le dialecte doit être la langue maternelle. Sur Night and Day, Roland Dyens prouve son fabuleux bilinguisme. Bien qu’il ait fermement imposé son talent de guitariste classique dans ses enregistrements précédents de Villa-Lobos, Satie, Sor et Weiss, il a peut-être montré davantage d’aisance dans les genres modernes, comme les arrangements de chansons de Georges Brassens, les standards de Thelonious Monk ou Django Reinhardt, et même un hommage à Frank Zappa.
Night and Day fait ainsi la démonstration de l’aisance de Dyens dans les interprétations de standards du jazz américain avec des cordes en nylon. Comme Martin Taylor, Dyens joue sur une guitare avec laquelle cela semble impossible, tant pour la vitesse que pour les enchaînements de contrepoints. Particulièrement sur Bluesette, All the Things You Are et Take the A Train, on doit faire une pause et vérifier qu’il ne s’agit pas de duos. Et comme n’importe quel musicien lutte pour le faire, la difficulté technique de ces arrangements est cachée par l’exubérance facile et contagieuse insufflée par Dyens dans ces morceaux.
Même les plus simples et plus lentes mélodies I love Paris, Misty et Over the rainbow trouvent une expression complexe dans le génie de Dyens pour l’arrangement… mais la façon dont elles cheminent jusqu‘à votre oreille devient simple, naturelle, comme une langue maternelle qui vous parle dans un dialecte que vous avez connu de toujours.
Alan Fark
GHA 126.061 – ℗ © 2003 GHA Records