

Fernando Sor & Mauro Giuseppe Sergio Pantaleo Giuliani
« Vieux rêve que cette idée d’une version de mes Études de Sor pour guitare et quatuor à cordes…
Un peu comme pour mes arrangements de chansons françaises, de standards jazz ou, plus tard, de la zamba Alfonsina y el mar, c’est le genre de projet qui vous porte mais surtout que vous portez en vous pendant des années, jusqu’au jour où, comme ça, sur un coup de dés, une rencontre ou que sais-je, les choses s’enclenchent pour de bon et finissent par aboutir. La fameuse histoire de l’« occasion qui fait le larron », vous connaissez ? L’occasion, ce fut un concert partagé avec le quatuor québécois Arthur·LeBlanc dans le somptueux cadre de l’académie d’été du domaine Fotget en juillet 2005, à Saint-Irénée au Québec. Ces quatre musiciens m’avaient tant enchanté ce soir-là que, sans le savoir, ils actionnèrent le déclic « fatal » qui me fit enfin coucher sur le papier les arrangements que voici.
À l’instar de la fameuse Rossiniana n° 1,op. 119, de Giuliani que j’avais, six ans plus tôt, revêtue d’une tenue style « soirée » similaire à celle cousue pour sept des célèbres études de Fernando Sor, j’ai tenu en priorité à respecter le style et l’esprit du compositeur, cet esprit que j’évoque partout de façon têtue, le tenant pour le point cardinal en matière de musique.
Notons enfin que les sept Études que j’ai sélectionnées sont à la fois les plus connues et les plus belles du compositeur catalan, le hasard, on le voit, n’ayant pas souvent sa place en matière de musique… »
Roland Dyens
Les sept Études de Sor et la Rossiniana de Giuliani sont présentées dans un arrangement pour guitare et quatuor à cordes de Roland Dyens.
Roland Dyens, guitare
Quatuor Arthur·LeBlanc
Hibiki Kobayashi, Brett Molzan, violons
Jean-Luc Plourde, alto
Ryan Molzan, violoncelle
ACD2 2397 – ℗ © 2007 ATMA Classique
propos des œuvres, et en particulier des arrangements
Roland DyensLe Grand Solo et les Études de Fernando Sor

On connait plusieurs versions de la Sonata prima pour la guitare de 1810, tôt renommée Grand Solo pour la guitare par la maison d’édition musicale Chez Meissonier. Plusieurs de ces versions sont contemporaines de Fernando Sor et leur variété étonne. La première, la plus orchestrale, celle de Salvatore Castro de Gistau, éditeur du Journal de musique étrangère pour guitare on lyre, a largement contribué à faire connaitre Sor dans les cercles parisiens de mélomanes. La seconde édition, celle de Meissonier, imprimée en 1922, vise un plus large public en offrant aux guitaristes amateurs une version quelque peu simplifiée de l’œuvre qui met en valeur la pureté des lignes et traite la guitare avec un grand naturel. Une autre version connue est celle de Dionisio Aguado, un ami proche de Sor. Plus tard, des concertistes de renom ont aussi proposé leur version, notamment Segovia. Peut-être existe-t-il autant de variétés de ce Grand Solo qu’il y a de guitaristes, après tout…
Les modifications que j’ai apportées à l’Étude n° 5 sont minimes et concernent essentiellement les valeurs des notes : la plus célèbre des études de Sor est ici intégralement jouée par la guitare. Si le non moins célèbre Raymond Devos en est le dédicataire, c’est qu’il a – exclusivement dans les pays francophones, certes – largement contribué à la diffusion de cette étude et, partant, de son compositeur en l’exécutant de façon plutôt convenable dans l’un des ses nombreux sketches.
Dans l’Étude n° 6, deux brèves mesures jouées en « pizzicato clin d’œil » par le quatuor m’ont semblé pouvoir dérouler le petit tapis rouge digne d’accueillir la plus célèbre sixte majeure de la littérature pour guitare. À la fin viennent se greffer en pièces jointes – ou en rameaux rapportés, c’est plus joli – quatre mesures de conclusion dont j’ignorais il y a peu l’existence même, que j’ai dénichées dans le remarquable ouvrage Frenando Sor, The Complete Studies for Guitar édité chez Chanterelle (ces quatre mesures, publiées aux éditions Simrock et Pacini en 1828 et 1830, se substituent simplement à la version ségovienne entre les mesures 31 et 34). J’ai la faiblesse de croire que cette coda inattendue ne portera pas atteinte au remarquable équilibre de ce bijou d’étude.
Rien de bien essentiel n’est à signaler au sujet de l’arrangement de la superbe Étude n° 13 en ré mineur, l’une des très rares où la basse est accordée en ré, si ce n’est l’effacement de la guitare lors de la ré-exposition du thème principal, repris par le quatuor seul.
L’opportunité de quelques mesures de quatuor en guise d’introduction à l’Étude n° 17 m’est apparue comme une évidence pou mieux encore inviter la guitare à exposer des arpèges parmi les plus fameux de son répertoire.
Ici, la partie de guitare de l’Étude n° 19, aussi révolutionnaire par sa tonalité de si bémol majeur que douloureuse pour la main gauche, est demeurée intacte du début à la fin. C’est précisément cette étude que j’ai d’abord rêvé d’arranger un jour pour guitare et quatuor à cordes, et c’est donc grâce à elle que s’est poursuivi le projet d’en arranger plusieurs pour la même formation.
Après mûre réflexion, j’ai décidé que la guitare serait absente de l’Étude n° 1, la facture d’un choral à trois voix y étant patente du début à la fin. Sauf à vouloir absolument y adjoindre un (inutile) contre-chant ou donner à jouer à la guitare une (redondante) partie d’alto, de violoncelle, voire de quatuor tour entier, cela aurait nécessairement nui à sa beauté toute simple. En revanche, cet arrangement pourra convenir en guise d’idéale ouverture à la vivifiante Étude n° 20 dont elle partage la tonalité en do majeur.
C’est, je l’avoue, l’Étude n° 20 que j’aurai le plus retouchée au cours de ce travail. Pas en regard des notes – ce ne fut jamais le cas, je le redis – mais dans le sens où j’ai essayé d’en faire un joyeux finale de concerto miniature. Partant, la guitare joue ici à une cache-cache permanent avec le quatuor à cordes, instaurant un jubilatoire dialogue tout au long de cette pièce exigeante. Le style d’écriture utilisé ici par Fernando Sor naviguant sans cesse entre marche militaire (probables séquelles de ses années Montserrat, collège de Catalogne où il fit ses dures humanités), préciosité haydnienne et contrepoint baroque, l’architecture même de cette étude, et tout, à la vérité, m’invitait et m’incitait à réaliser un arrangement de facto plus élaboré que les autres.
Voilà, chers amis, vous savez maintenant presque tout des coulisses et des petites histoires qui auront présidé à la confection de ces improbables habits pour sept desdites Vingt Études de Sor, goutte d’eau dans l’océan que fut son œuvre.
Les Variazioni su un tema di Händel et la première Rossiniana de Mauro Giuliani

Quatuor Arthur·LeBlancGuitariste virtuose et compositeur, Mauro Giuliani nait à l’époque où, en Italie, la musique instrumentale est reléguée au second plan, laissant toute la place et tous les applaudissements à l’opéra. Il s’installe à Vienne en 1906 où il obtient un grand succès, entre autres avec son Concerto, op. 30. Il a redonné à la guitare ses airs de noblesse en effectuant des tournées à travers l’Europe entière. Guitariste autodictate, Giuliani était par ailleurs violoncelliste et un compositeur formé. Il aurait joué à la première de la 7e symphonie de Beethoven le 8 décembre 1813 en compagnie des artistes viennois les plus recherchés du temps, dont Hummel et Spohr. Diabelli, un autre grand de ce temps. a édité plusieurs œuvres de Giuliani.
Le thème et variations, un genre très prisé au XIXe siècle, reprend des fragments connus d’opéras ou de pièces à la mode, tout en donnant au soliste l’occasion de montrer toute la virtuosité dont il est capable, et parfois aussi ses talents d’improvisateur. Le thème de Haendel utilisé ici par Giuliani est surnommé « The Harmonious Blacksmith » (Le forgeron harmonieux). Haendel en tire cinq variations qui font partie de ses Suites de pièces pour clavier les plus connues. Giuliani, quant à lui, se réapproprie ce thème en le paraphrasant, librement, et le transpose dans une tonalité optimale pour la guitare. Le mythe du forgeron harmonieux remonte à Pythagore qui aurait été inspiré par les différentes hauteurs de son que produisaient les enclumes en les frappant. Le mathématicien aurait déduit de ce phénomène consonant le calcul mathématique des rapports entre les intervalles musicaux.
Les six Rossiniane de Mauro Giuliani occupent une des places les plus importantes du paysage romantique de la guitare et la première Rossiniana, sans doute aussi la plus célèbre, a suscité en moi l’envie d’en proposer aux guitaristes une version nouvelle, une lecture différente, comme on dit au théâtre. Ainsi, lorsque Roberto Fabbri, fondateur et organisateur du festival international de guitare Giuliani qui se tenait à Bisceglie, ville natale du compositeur, m’a invité à librement imaginer ce que je pourrais écrire en hommage au compositeur italien, l’idée de revisiter cette œuvre n’a pas tardé à se faire jour. Mon désir fur alors de la « concertiser », confiant à la guitare son rôle de soliste naturel et au quatuor à cordes celui d’un orchestre imaginaire. Tout s’y prêtait : le style, bien sûr, proche des concertos du compositeur Giuliani, la profusion thématique, terreau de prédilection de l’arrangeur Giuliani, mais également la durée originale de l’œuvre, voisine de celle d’un concertino.
Je n’eus alors, moi, l’arrangeur de l’arrangeur, qu’à me laisser porter par cette écriture pour guitare déjà si orchestrale pour tenter de décrypter ce que ce grand compositeur-guitariste de l’ottocento aurait peut-être fait avant moi.
Roland Dyens, mai 2006
